mardi 29 septembre 2009

La cour de cassation facilite la dénonciaton de faits de harcèlement moral

Par cet arrêt du 10 mars 2009, la chambre sociale de la cour de cassation facilite la dénonciation, par les salariés, de faits de harcèlement moral dont il s'estiment victimes de la part de leur hiérarchie.

En effet, une cour d'appel avait cru bon de valider le licenciement d'un salarié, au motif qu'il n'avaient pas été établis les faits de harcèlement qu'il avait dénoncé. Elle avait ajouté même qu'il s'agissait pour elle d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement :

Attendu que pour décider que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive, l'arrêt retient que le fait pour un salarié d'imputer à son employeur, après en avoir averti l'inspection du travail, des irrégularités graves dont la réalité n'est pas établie, et de reprocher des faits de harcèlement à un supérieur hiérarchique sans les prouver, caractérise un abus dans l'exercice de la liberté d'expression et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Étant donné qu'il n'est pas toujours facile de réunir des éléments probants en la matière, une telle jurisprudence, si elle avait été consacrée par la cour de cassation, n'aurait pas inciter les salariés à porter à la connaissance de la justice de tels faits et partant de les prévenir au sein même des entreprises.

Surtout, par la généralités des termes employés, elle paraissait même contra legem dans la mesure où l'article L 1152-2 du code du travail aux termes duquel aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L 1152-3 du même code dispose pour sa part toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance (de ce texte), toute disposition ou tout acte contraire est nul

Cependant, la Haute juridiction prend soin de ne pas favoriser non plus les dénonciations de pure opportunité. Ainsi, un licenciement pourra être justifié si la mauvais foi du salarié est établi par l'employeur, étant précisé que cette mauvaise foi ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis : le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis .

En l'espèce, la mauvais foi du salarié n'était même pas alléguée. Le licenciement était donc nul de plein droit.

Il est toutefois surprenant que ce moyen de cassation ait échappé à la vigilance des défenseurs du salariés, la cour de cassation l'ayant soulevé d'office (violation de la loi par la cour d'appel).

mardi 22 septembre 2009

L'automaticité des inéligibilités est-elle constitutionnelle ?

Le député socialiste Jean-Jacques Urvoas a fait adopter un amendement qui abroge l'article 7 du code électoral prévoyant une peine complémentaire automatique. L'automaticité de cette peine n'était pas conforme à la constitution, mais il n'était pas nécessaire, pour y mettre un terme, de supprimer l'article en question. il aurait suffit de donner au juge le pouvoir d'apprécier la nécessité de prononcer cette peine en fonction des circonstances de chaque espèce.

Il est bon de republier l'article que j'avais consacré à cette question en 2006 :

"L’automaticité d’une inéligibilité, en
l’espèce prévue à l’article L 230 du code électoral, mais en
application de l’article L 7 dudit code, est elle constitutionnelle ?C’est la question que pose Jean-Pierre Camby, dans son commentaire de l’arrêt du 1er juillet 2005 du Conseil d’Etat.

Rappelons en effet qu’en vertu de l’article L 7 du code électoral, certaines
condamnations pénales entraîne la perte de la qualité d’électeur
pendant un délai de 5 ans, et que cette perte entraîne une
inéligibilité de 10 ans en application de l’article L 230.

Le problème est que la question de l’inconstitutionnalité d’une sanction
automatique n’était pas posée au Conseil d’Etat. Et lui aurait-elle été
posée, il n’aurait pas pu faire autrement que de répondre que le moyen
de la conformité d’une loi à la constitution est inopérant.

Aussi, a-til du d’abord résoudre la question de l’applicabilité de l’article
6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Contrairement à l’inéligibilité de 1 an prévue pour dépassement du
plafond des dépenses électorales (CEDH Pierre-Bloch c/France), cette
inéligibilité entre bien dans les prévisions de l’article 6-1 de la
convention. Elle est parfaitement compatible avec cet article : “cette
sanction, qui est en rapport direct avec les fonctions à l’occasion
desquelles le délit a été commis, est subordonnée à la reconnaissance
par la juridiction pénale de la culpabilité de l’auteur de l’une des
infractions prévues notamment par les articles 432-10 à 432-14 du code
pénal par la juridiction pénale devant laquelle l’intéressé bénéficie
des garanties exigées par l’article 6 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Il n’en reste pas moins que le Conseil Constitutionnel, pour sa part, avait jugé dans sa décision du 15 mars 1999 (à propos de dispositions d’une loi déjà promulguée) que “le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer
une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge
l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres
à l’espèce ; que la possibilité ultérieurement offerte au juge de
relever l’intéressé, à sa demande, de cette incapacité, au cas où il a
apporté une contribution suffisante au paiement du passif, ne saurait à
elle seule assurer le respect des exigences qui découlent du principe
de nécessité énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ;

Considérant que,
dès lors, en instituant une incapacité d’exercer une fonction publique
élective d’une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable
de plein droit à toute personne physique à l’égard de laquelle a été
prononcée la faillite personnelle, l’interdiction prévue à l’article
192 de la loi du 25 janvier 1985 ou la liquidation judiciaire, sans que
le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite
incapacité, l’article 194 de cette loi méconnaît le principe de
nécessité des peines ; que doivent être également déclarées contraires
à la Constitution, comme en étant inséparables, les dispositions de
l’article 195 de ladite loi faisant référence à l’incapacité d’exercer
une fonction publique élective ; qu’en conséquence, les dispositions du
5° du I de l’article 195 de la loi organique soumise à l’examen du
Conseil constitutionnel doivent être regardées comme contraires à la
Constitution ;”

On peut donc douter de la constitutionnalité d’un dispositif prévoyant une automaticité de la
perte de qualité d’électeur et donc de l’inéligibilité subséquente qui
n’aurait pas été prononcée explicitement par un juge et qui oblige le
préfet à en tirer les conséquences en prononçant la démission d’office
de l’élu en cause. Et ce n’est pas le rappel du Conseil d’Etat selon
lequel le juge pénal “peut, en
application de l’article 775-1 du code de procédure pénale relever
l’auteur de ces infractions des interdictions, déchéances et
incapacités électorales susmentionnées en prononçant, d’emblée ou
ultérieurement, une dispense d’inscription de la condamnation au
bulletin n° 2 du casier judiciaire” qui paraîtra lever les
doutes compte tenu du fait que de telles considérations n’avaient pas
paru au Conseil Constitutionnel suffisantes pour éviter la censure.

Il est grave qu’un dispositif
vraisemblablement non conforme à la constitution puisse subsister et
servir sans encombre de fondement à la sanction aussi sévère que celle
de l’inéligibilité pour 10 ans.

Mais la pusillanimité du législateur en
la matière, pour ne pas être accusé “d’auto amnistie”, empêchera sans
doute que la légalité constitutionnelle soit rétablie…"