vendredi 12 février 2010

L'état de santé d'un salarié ne justifie pas un retard dans la carrière

Ainsi vient de la décider la chambre sociale de la cour de cassation par un arrêt du 28 janvier dernier. Il s'agit en effet pour la Haute juridiction d'une discrimination prohibée :

Attendu que pour rejeter les demandes de M. M..., l'arrêt retient que la situation de l'intéressé avant la titularisation se caractérisait par une ancienneté de service effectivement moindre, en raison notamment de durées d'embarquement plus brèves que celles d'autres collègues titularisés avant lui, ainsi que par de fréquents arrêts de travail pour maladie, de sorte que le défaut de présentation à la titularisation en découlant ne pouvait être tenu pour discriminatoire, et que l'employeur établissait ainsi que la disparité de situation invoquée par M. M... était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu, cependant, d'une part, que lorsque le salarié qui invoque un retard de carrière discriminatoire présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; d'autre part, qu'il résulte notamment des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'un salarié ne peut faire l'objet d'une mesure de discrimination, directe ou indirecte en matière de classification ou de promotion professionnelle en raison de son état de santé ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la justification du retard de carrière par les absences pour maladie se heurte à la prohibition de la discrimination à raison de l'état de santé du salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés :

L'illégalité de la suppression anticipée de la publicité sur les chaînes de France télévision

La position du Conseil d'État ne faisait plus guère de doute. En effet, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 3 mars 2009, avait précisé que l'interdiction de la commercialisation des espaces publicitaires dans
les programmes nationaux des services de communication audiovisuelle de
France Télévisions, qui a pour effet de priver cette société nationale
de programme d'une part significative de ses ressources, doit être
regardée comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue
un élément de son indépendance ; qu'il s'ensuit que le 11° du I de
l'article 28 de la loi déférée, qui n'est pas dépourvu de portée
normative, relève du domaine de la loi .


Seulement, le Conseil Constitutionnel n'avait tiré aucune conséquence de la circonstance que la mesure avait été déjà prise incompétemment par le conseil d'administration de France télévision sur ordre de la ministre.

Dans ces conditions, la décision du Conseil d'État ne pouvait réellement constituer une surprise. Elle est identique à celle du Conseil Constitutionnel.

Après avoir précisé que l'injonction ministérielle faisait grief et que les usagers de France télévision avait un intérêt à demander l'annulation de la lettre de la ministre et de la délibération du Conseil d'Administration de France Télévision, le Conseil d'État précise que le juge administratif est bien compétent pour statuer sur la légalité de la délibération dudit Conseil d'Administration. Bien que France Télévision soit une société de droit privé, elle gère un service public. Or, les règles de commercialisation des espaces publicitaires affecte la garantie des ressources de la société. En ce sens, cette décision relève de l'organisation même du service public et constitue un acte administratif relevant du contrôle contentieux du Conseil d'État.

Ensuite, le juge rappelle qu'il incombait au seul législateur de prendre ce type de décision :

Considérant que la décision de renoncer à la commercialisation des
espaces publicitaires dans les programmes des services de communication
audiovisuelle de France Télévisions pendant une part substantielle du
temps d’antenne, qui a pour effet de priver cette société nationale de
programme d’une part significative de ses recettes, doit être regardée
comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue un élément
de son indépendance ; qu’une telle interdiction relève dès lors du
domaine de la loi ; qu’à la date de la décision attaquée, aucune
disposition législative n’interdisait la commercialisation des espaces
publicitaires entre 20 h et 6 h sur France 2, France 3, France 4 et
France 5 ; que, par suite, le ministre de la culture et de la
communication n’avait pas le pouvoir d’enjoindre à la société France
Télévisons de prendre les mesures que comporte sa lettre du 15 décembre
2008 ; qu’il en résulte que cette dernière doit être annulée ;


Si la décision du Conseil d'État a une portée symbolique, ou est dépourvue de tout effet pratique, c'est aussi à cause du Conseil d'État lui-même. En effet, il a rejeté une demande de suspension de l'exécution des décisions en cause par ordonnance du 6 février 2009 pour...défaut d'urgence :

Considérant que le projet de loi relatif à la communication
audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a été, à la
date de la présente ordonnance, adopté par le Parlement ; que la loi,
est, sous réserve de la saisine du Conseil constitutionnel, en instance
de promulgation ; que, par ailleurs une dotation de 450 millions
d'euros a été inscrite dans la loi de finances pour 2009 afin de
compenser les pertes de recettes publicitaires du groupe France
Télévisions ; que l'illégalité invoquée des actes dont la suspension
est demandée ne serait pas par elle-même de nature à caractériser une
situation d'urgence ; qu'enfin, la suspension, demandée les 19 et 23
janvier 2009, n'aurait d'effet pratique sur la programmation qu'au
terme d'un délai de plusieurs mois, eu égard aux contraintes du marché
de la publicité et à celles de la programmation des émissions de
télévision ; qu'ainsi, la condition d'urgence exigée par l'article L.
521-1 du code de justice administrative pour qu'une suspension puisse
être prononcée n'est pas satisfaite ; que par suite les requêtes ne
peuvent qu'être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des
demandes de remboursement des frais exposés et non compris dans les
dépens ;

Il est dommageable que les citoyens n'aient pas toujours à leur disposition des moyens efficaces pour faire respecter les règles élémentaires de la séparation des pouvoirs et de la compétence respective des pouvoirs publics. L'indispensable vigilance démocratique est ainsi privée des outils qui lui permettraient d'exercer son rôle de contre pouvoir.

mardi 9 février 2010

Un nouveau cas d'accident de trajet

Par un arrêt en date du 29 janvier 2010, Mme O n°314148 (Dalloz actualités 03/02/2010) le Conseil d’Etat a rajouté une nouvelle catégorie aux accidents de trajet. Un accident de trajet est lié au service, dès lors qu’il survient durant le trajet direct domicile travail, mais aussi lors d’un détour lié aux nécessités de la vie courante (ce qui n’est pas le cas, à mon sens, du détour lié au dépôt de son enfant à une école). A cela s’ajoute l’accident survenu à un fonctionnaire qui s’est involontairement écarté de son trajet domicile travail.

En l’espèce, il s’agissait d’un agent hospitalier qui, rentrant chez lui, a été victime d’un accident mortel dans une gare située après celle où il aurait du descendre habituellement pour changer de train. Le Conseil d’Etat suppose qu’il s’était assoupi.

La haute Juridiction censure la raisonnement tenu par les juges du fond :
« Considérant que, pour décider que l’accident à l’origine du décès de M O ne revêtait pas le caractère d’un accident de service, le tribunal administratif a relevé que la gare de Laigneville, située sur la ligne de chemin de fer en direction d’Amiens après celle de Creil où l’intéressé changeait habituellement de train pour en prendre un autre en direction de Compiègne, jusqu’à la gare de Villiers-Saint-Paul, commune où il résidait, se trouvait en dehors de l’itinéraire normal de la victime, alors que, comme le soutenait (sa femme) M O se serait endormi dans le train et réveillé à Laigneville, n’était lié ni en relation avec les nécessités de la vie courante, ni en relation avec l’exercice des fonctions de M O ; qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si l’écart de trajet effectué par M O avait, comme il était soutenu, un caractère involontaire, le tribunal a entaché sa décision d’une erreur de droit. »

Après avoir annulé le jugement, le Conseil d’Etat tranche directement le litige opposant la caisse des dépôts et consignation à la veuve du fonctionnaire :
« Considérant que…l’accident est survenu sur la ligne de chemin de fer qu’empruntait habituellement M O pour se rendre de son travail à son domicile, dans une gare située juste après celle où il devait prendre une correspondance ; qu’il résulte de l’instruction que cet écart par rapport au trajet habituel de l’intéressé est dû à l’assoupissement de ce dernier et ne traduit aucune intention de sa part de ne pas rejoindre directement son domicile dans un délai habituel ; qu’ainsi, et alors même que l’accident serait imputable à une faute de l’intéressé, M O doit être regardé comme n’ayant pas quitté son itinéraire normal ; que l’accident dont il a été victime a, par suite, le caractère d’un accident de service »

En conséquence, la décision de la caisse des dépôts et consignation est annulé et la veuve de l’intéressé avait bien droit à la réversion de la rente d’invalidité de son mari.

Cette jurisprudence doit être approuvée. La solution inverse retenue par le tribunal administratif était à notre sens trop sévère, s’agissant d’un cas où la victime de l’accident s’était éloignée de son trajet de façon involontaire. On remarquera que pour se faire, le juge n’hésite pas à utiliser une fiction juridique M O « doit être regardé comme ne s’étant pas quitté son itinéraire normal ». Ainsi, les considérations d’équité ne sont pas toujours étrangères aux décisions que prend le Conseil d’Etat. On remarquera que la porte ouverte par le juge à un nouveau cas d’accident de trajet imputable au service n’entraînera pas de dérive engendrant un nombre très importants de nouveaux accidents de trajet. On ne voit d’ailleurs guère que les transports en commun qui seraient en cause, et encore, faut-il, bien entendu, que l’agent ait emprunté son trajet habituel. Enfin, on remarquera que la caisse des dépôts et consignations n’est pas admise à invoquer la faute de la victime. Autrement dit, la faute de la victime est sans incidence sur la qualification d’accident de trajet…