vendredi 12 février 2010

L'illégalité de la suppression anticipée de la publicité sur les chaînes de France télévision

La position du Conseil d'État ne faisait plus guère de doute. En effet, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 3 mars 2009, avait précisé que l'interdiction de la commercialisation des espaces publicitaires dans
les programmes nationaux des services de communication audiovisuelle de
France Télévisions, qui a pour effet de priver cette société nationale
de programme d'une part significative de ses ressources, doit être
regardée comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue
un élément de son indépendance ; qu'il s'ensuit que le 11° du I de
l'article 28 de la loi déférée, qui n'est pas dépourvu de portée
normative, relève du domaine de la loi .


Seulement, le Conseil Constitutionnel n'avait tiré aucune conséquence de la circonstance que la mesure avait été déjà prise incompétemment par le conseil d'administration de France télévision sur ordre de la ministre.

Dans ces conditions, la décision du Conseil d'État ne pouvait réellement constituer une surprise. Elle est identique à celle du Conseil Constitutionnel.

Après avoir précisé que l'injonction ministérielle faisait grief et que les usagers de France télévision avait un intérêt à demander l'annulation de la lettre de la ministre et de la délibération du Conseil d'Administration de France Télévision, le Conseil d'État précise que le juge administratif est bien compétent pour statuer sur la légalité de la délibération dudit Conseil d'Administration. Bien que France Télévision soit une société de droit privé, elle gère un service public. Or, les règles de commercialisation des espaces publicitaires affecte la garantie des ressources de la société. En ce sens, cette décision relève de l'organisation même du service public et constitue un acte administratif relevant du contrôle contentieux du Conseil d'État.

Ensuite, le juge rappelle qu'il incombait au seul législateur de prendre ce type de décision :

Considérant que la décision de renoncer à la commercialisation des
espaces publicitaires dans les programmes des services de communication
audiovisuelle de France Télévisions pendant une part substantielle du
temps d’antenne, qui a pour effet de priver cette société nationale de
programme d’une part significative de ses recettes, doit être regardée
comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue un élément
de son indépendance ; qu’une telle interdiction relève dès lors du
domaine de la loi ; qu’à la date de la décision attaquée, aucune
disposition législative n’interdisait la commercialisation des espaces
publicitaires entre 20 h et 6 h sur France 2, France 3, France 4 et
France 5 ; que, par suite, le ministre de la culture et de la
communication n’avait pas le pouvoir d’enjoindre à la société France
Télévisons de prendre les mesures que comporte sa lettre du 15 décembre
2008 ; qu’il en résulte que cette dernière doit être annulée ;


Si la décision du Conseil d'État a une portée symbolique, ou est dépourvue de tout effet pratique, c'est aussi à cause du Conseil d'État lui-même. En effet, il a rejeté une demande de suspension de l'exécution des décisions en cause par ordonnance du 6 février 2009 pour...défaut d'urgence :

Considérant que le projet de loi relatif à la communication
audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a été, à la
date de la présente ordonnance, adopté par le Parlement ; que la loi,
est, sous réserve de la saisine du Conseil constitutionnel, en instance
de promulgation ; que, par ailleurs une dotation de 450 millions
d'euros a été inscrite dans la loi de finances pour 2009 afin de
compenser les pertes de recettes publicitaires du groupe France
Télévisions ; que l'illégalité invoquée des actes dont la suspension
est demandée ne serait pas par elle-même de nature à caractériser une
situation d'urgence ; qu'enfin, la suspension, demandée les 19 et 23
janvier 2009, n'aurait d'effet pratique sur la programmation qu'au
terme d'un délai de plusieurs mois, eu égard aux contraintes du marché
de la publicité et à celles de la programmation des émissions de
télévision ; qu'ainsi, la condition d'urgence exigée par l'article L.
521-1 du code de justice administrative pour qu'une suspension puisse
être prononcée n'est pas satisfaite ; que par suite les requêtes ne
peuvent qu'être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des
demandes de remboursement des frais exposés et non compris dans les
dépens ;

Il est dommageable que les citoyens n'aient pas toujours à leur disposition des moyens efficaces pour faire respecter les règles élémentaires de la séparation des pouvoirs et de la compétence respective des pouvoirs publics. L'indispensable vigilance démocratique est ainsi privée des outils qui lui permettraient d'exercer son rôle de contre pouvoir.

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