lundi 30 novembre 2009

Sanction pénale et sanction disciplinaire

Considérant que, lorsque les faits commis par un agent public donnent lieu à la fois à une action pénale et à des poursuites disciplinaires, l'administration peut se prononcer sur l'action disciplinaire sans attendre l'issue de la procédure pénale ; que si elle décide néanmoins de différer sa décision en matière disciplinaire jusqu'à ce que le juge pénal ait statué, il lui incombe, dans le choix de la sanction qu'elle retient, de tenir compte non seulement de la nature et de la gravité des faits répréhensibles mais aussi de la situation d'ensemble de l'agent en cause, à la date à laquelle la sanction est prononcée, compte tenu, le cas échéant, des éléments recueillis, des expertises ordonnées et des constatations faites par le juge pénal


Dans l'arrêt rapporté du Conseil d'État en date du 27 juillet 2009, le juge annule une sanction disciplinaire infligée à une professeur certifié d'éducation musicale et de chant choral. Ce professeur avait été reconnu coupable par jugement définitif du délit d'atteinte sexuelle commis en 1998 sur une mineure de quinze ans, sans violence, contrainte, menace ou surprise. L'administration lui avait infligé la sanction d'exclusion temporaire des fonctions pour une durée de 1 an.

Le conseil d'Etat prenant en compte le caractère strictement privé des faits, l'absence de tout antécédent et sa façon de servir, annule la sanction comme étant manifestement disproportionnée :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si les faits reprochés à Mlle A sont de nature à justifier une sanction disciplinaire, ils ont été commis en dehors de tout cadre professionnel, à l'étranger durant les vacances scolaires d'été, à l'occasion d'une invitation de caractère privé ; que ces faits isolés ont été reconnus par l'intéressée et ont fait l'objet de sa part, durant la procédure pénale, de mesures et d'engagements de nature à éviter toute réitération ; qu'à la suite des expertises diligentées, le juge pénal a estimé qu'une reprise effective de ses fonctions par l'enseignante pouvait être autorisée ; que, dès lors, eu égard à la manière de servir de l'intéressée, aux résultats qu'elle a obtenus dans l'exercice de ses fonctions et à sa situation, telle qu'elle se présentait dans son ensemble à la date de la décision contestée, la sanction retenue par le ministre est manifestement disproportionnée ;

Illégalité d'une sanction pour incompétence de son auteur

Les sanctions disciplinaires doivent être infligées par des personnes ayant compétence pour cela. Un fonctionnaire ne peut infliger de sanction disciplinaire à un de ses collègues que s'il bénéficie régulièrement d'une délégation pour cela. Cette délégation pour être opposable, doit avoir été régulièrement publiée. Il s'agit en effet d'un acte règlementaire

Dans un arrêt du 5 février 2009, l'agent qui avait été sanctionné d'un blâme contestait la compétence de l'agent sanctionneur. Pour lui, la simple publication sur le site intranet de France Télécom ne suffisait pas.

La cour administrative d'appel de Nantes lui donne raison par un raisonnement intéressant. Rien n'interdit qu'un acte règlementaire soit publié sur un site intranet, à condition toutefois qu'un acte règlementaire traditionnellement publié en ait fixé les modalités :

Considérant qu'aucun principe général non plus qu'aucune règle ne s'oppose à ce que la publication d'une décision réglementaire régissant la situation des personnels auxquels s'appliquent les dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat prenne la forme d'une mise en ligne de cette décision sur l'Intranet ; que, toutefois, ce mode de publicité n'est susceptible de faire regarder comme régulièrement publiée une délégation de signature qu'à la condition, d'une part, que l'information ainsi diffusée puisse être regardée, compte tenu notamment de sa durée, comme suffisante et, d'autre part, que le mode de publicité par voie électronique et les effets juridiques qui lui sont attachés aient été précisés par un acte règlementaire ayant lui-même été régulièrement publié ;


Considérant qu'en réponse au moyen tiré de l'incompétence du directeur de l'UICB pour prendre la sanction contestée, France Télécom a justifié de l'existence d'une délégation de signature au profit de l'auteur de ladite décision ; que, toutefois, si la délégation de signature en cause a été mise en ligne sur l'Intranet de France Télécom le 7 juin 2005, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une décision prévoyant la publication par voie électronique des décisions régissant la situation des personnels de France Télécom ait été publiée dans les conditions prévues par l'article 8 du décret du 27 décembre 1996 ; que, dans ces conditions, France Télécom n'ayant pas justifié de l'existence d'une délégation de signature régulièrement publiée, il s'ensuit que la décision contestée était entachée d'incompétence et devait être annulée ;

dimanche 15 novembre 2009

Les limites des pouvoirs du maire en zone inondable

Dans un arrêt du 21 octobre 2009 Commune de Collias, le Conseil d’Etat, visant les articles L 2212-2 et L 2212-4 du CGCT et L 561-1 du code de l’environnement, juge que
« le maire de Collias pouvait demander au préfet d'engager la procédure d'expropriation prévue par l'article L. 561-1 du code de l'environnement s'il estimait que les conditions en étaient réunies ; que le maire pouvait également, en vertu des pouvoirs de police générale qu'il tient des dispositions précitées des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde ; qu'en revanche, il ne lui appartenait pas, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de prendre une mesure permanente et définitive privant la propriétaire actuelle de l'usage de son bien en interdisant toute occupation de l'immeuble dans l'attente d'une éventuelle acquisition amiable par la commune »


Il s’agissait en l’espèce d’un ancien Moulin transformé en immeuble d’habitation soumis à de forts risques d’inondation, les constructions nouvelles étant interdites au titre du plan d’exposition aux risques d’inondation.

Cette jurisprudence confirme le caractère exceptionnel des pouvoirs de police du maire dont les mesures ne peuvent revêtir un caractère général et absolu. Un maire ne peut donc pas interdire de façon permanente toute occupation d’un immeuble, même soumis à de graves risques d’inondation…

mercredi 14 octobre 2009

L'obligation de créer un service d'accueil des élèves

"Est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité la délibération d'un conseil municipal décidant à l'unanimité des suffrages exprimés « d'agir en conformité avec les principes républicains qu'il défend en ne mettant pas en place de service d'accueil dans les écoles de la commune.

Ainsi, sont sans effet sur la légalité de cette délibération les moyens soulevés par la commune selon lesquels, d'une part, elle serait dans l'impossibilité d'organiser le service d'accueil notamment en raison du manque d'effectif d'animateurs et, d'autre part, qu'il serait peu probable que le taux de personnel en grève dans les écoles primaires de la commune atteigne le seuil de 25 %, seul législatif imposant l'obligation d'organiser un service d'accueil."


Extrait du site Dalloz sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 2009 Commune du Plessis-Pâté à paraître.

mardi 6 octobre 2009

L'annulation d'une autorisation de dissémination d'OGM

Sur requête de France Nature Environnement, à laquelle s’est jointe Alsace Nature, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le 30 septembre dernier la décision du ministre de l’agriculture d’autoriser l’INRA à réaliser un essai en plein champ d’OGM.

En application de la pratique de l’économie des moyens, qui lui permet de ne pas prendre position sur l’ensemble des moyens soulevés devant lui, le tribunal a retenu celui relatif à l’incompatibililité de la réglementation nationale par rapport au droit dérivé communautaire.

En effet, la décision querellée respectait apparemment le décret n°93-1177 du 18 octobre 1993 aux termes duquel « au terme de la dissémination autorisée, le responsable de celle-ci communique au ministre chargé de l’agriculture les résultats de cette dissémination en ce qui concerne les risques éventuels pour la santé publique et l’environnement. Il informe celui-ci des suites qu’il compte donner à ses recherches ». Ce libellé était le parfait de la directive 90/220/CEE du 23 avril 1990. Cependant, à la date de la décision attaquée, le droit communautaire dérivé avait évolué. Il met à la charge du responsable de l’autorisation des obligations d’information tout au court de la durée de l’autorisation.

C’est ainsi que l’article 10 de la directive 2001/18/CE dispose que « lorsque la dissémination est terminée et, ensuite, en respectant les intervalles de temps indiqués dans l’autorisation sur la base de l’évaluation des risques pour l’environnement, le notifiant envoie à l’autorité compétente les résultats de cette dissémination en ce qui concerne les risques éventuels pour la santé humaine ou l’environnement en indiquant, s’il y a lieu, les types de produit qu’il a l’intention de produire par la suite.

Cette directive devait être transposée le 17 octobre 2002. Force est de constater que le décret du 18 octobre n’avait pas été modifié pour prendre en compte les nouvelles exigences, claires et précises, de la directive. Si une directive li les États membres quant aux objectifs à atteindre et n’a point d’effet direct, le caractère impératif et précis de celle de 2001 ne laissait aucune place à l’interprétation. Elle ne se contentait pas de « reprendre l’article 8 de la directive 90/220/CEE mais (ajoutait) de nouvelles prescriptions. » Pour échapper à la censure, l’autorisation aurait du respecter les termes de la directive de 2001, c'est-à-dire prévoir qu’à intervalles réguliers qu’elle aurait fixés, le bénéficiaire informe le ministre des résultats de la dissémination sur la santé humaine ou l’environnement. En effet, une fois le délai de transposition de la directive écoulé, les décisions administratives individuelles doivent au besoin s’écarter de la règlementation nationale. L’autorité administrative ne peut toutefois s’affranchir pour se faire des règles de compétence constitutionnelles.

En l’espèce, facteur aggravant qui à mon sens entre dans le cadre du principe de précaution au sens de la charte de l’environnement (le tribunal n’en souffle mot et il faut dire qu'aucun moyen n'était soulevé en rapport au principe de précaution), le tribunal relève que l’autorisation aurait d’autant plus du contenir des prescriptions relatives à la transmission périodique d’un rapport sur les résultats de la dissémination que « le dossier de demande d’autorisation faisait état du développement possibles de rejets sur les porte-greffes transgéniques et prévoyait leur élimination durant une période de 10 ans suivant la fin de la dissémination ».

Un grand merci à Arnaud Gossement, qui a assuré la défense de France Nature Environnement et publié le jugement sur son site.

mardi 29 septembre 2009

La cour de cassation facilite la dénonciaton de faits de harcèlement moral

Par cet arrêt du 10 mars 2009, la chambre sociale de la cour de cassation facilite la dénonciation, par les salariés, de faits de harcèlement moral dont il s'estiment victimes de la part de leur hiérarchie.

En effet, une cour d'appel avait cru bon de valider le licenciement d'un salarié, au motif qu'il n'avaient pas été établis les faits de harcèlement qu'il avait dénoncé. Elle avait ajouté même qu'il s'agissait pour elle d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement :

Attendu que pour décider que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive, l'arrêt retient que le fait pour un salarié d'imputer à son employeur, après en avoir averti l'inspection du travail, des irrégularités graves dont la réalité n'est pas établie, et de reprocher des faits de harcèlement à un supérieur hiérarchique sans les prouver, caractérise un abus dans l'exercice de la liberté d'expression et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Étant donné qu'il n'est pas toujours facile de réunir des éléments probants en la matière, une telle jurisprudence, si elle avait été consacrée par la cour de cassation, n'aurait pas inciter les salariés à porter à la connaissance de la justice de tels faits et partant de les prévenir au sein même des entreprises.

Surtout, par la généralités des termes employés, elle paraissait même contra legem dans la mesure où l'article L 1152-2 du code du travail aux termes duquel aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L 1152-3 du même code dispose pour sa part toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance (de ce texte), toute disposition ou tout acte contraire est nul

Cependant, la Haute juridiction prend soin de ne pas favoriser non plus les dénonciations de pure opportunité. Ainsi, un licenciement pourra être justifié si la mauvais foi du salarié est établi par l'employeur, étant précisé que cette mauvaise foi ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis : le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis .

En l'espèce, la mauvais foi du salarié n'était même pas alléguée. Le licenciement était donc nul de plein droit.

Il est toutefois surprenant que ce moyen de cassation ait échappé à la vigilance des défenseurs du salariés, la cour de cassation l'ayant soulevé d'office (violation de la loi par la cour d'appel).

mardi 22 septembre 2009

L'automaticité des inéligibilités est-elle constitutionnelle ?

Le député socialiste Jean-Jacques Urvoas a fait adopter un amendement qui abroge l'article 7 du code électoral prévoyant une peine complémentaire automatique. L'automaticité de cette peine n'était pas conforme à la constitution, mais il n'était pas nécessaire, pour y mettre un terme, de supprimer l'article en question. il aurait suffit de donner au juge le pouvoir d'apprécier la nécessité de prononcer cette peine en fonction des circonstances de chaque espèce.

Il est bon de republier l'article que j'avais consacré à cette question en 2006 :

"L’automaticité d’une inéligibilité, en
l’espèce prévue à l’article L 230 du code électoral, mais en
application de l’article L 7 dudit code, est elle constitutionnelle ?C’est la question que pose Jean-Pierre Camby, dans son commentaire de l’arrêt du 1er juillet 2005 du Conseil d’Etat.

Rappelons en effet qu’en vertu de l’article L 7 du code électoral, certaines
condamnations pénales entraîne la perte de la qualité d’électeur
pendant un délai de 5 ans, et que cette perte entraîne une
inéligibilité de 10 ans en application de l’article L 230.

Le problème est que la question de l’inconstitutionnalité d’une sanction
automatique n’était pas posée au Conseil d’Etat. Et lui aurait-elle été
posée, il n’aurait pas pu faire autrement que de répondre que le moyen
de la conformité d’une loi à la constitution est inopérant.

Aussi, a-til du d’abord résoudre la question de l’applicabilité de l’article
6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Contrairement à l’inéligibilité de 1 an prévue pour dépassement du
plafond des dépenses électorales (CEDH Pierre-Bloch c/France), cette
inéligibilité entre bien dans les prévisions de l’article 6-1 de la
convention. Elle est parfaitement compatible avec cet article : “cette
sanction, qui est en rapport direct avec les fonctions à l’occasion
desquelles le délit a été commis, est subordonnée à la reconnaissance
par la juridiction pénale de la culpabilité de l’auteur de l’une des
infractions prévues notamment par les articles 432-10 à 432-14 du code
pénal par la juridiction pénale devant laquelle l’intéressé bénéficie
des garanties exigées par l’article 6 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Il n’en reste pas moins que le Conseil Constitutionnel, pour sa part, avait jugé dans sa décision du 15 mars 1999 (à propos de dispositions d’une loi déjà promulguée) que “le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer
une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge
l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres
à l’espèce ; que la possibilité ultérieurement offerte au juge de
relever l’intéressé, à sa demande, de cette incapacité, au cas où il a
apporté une contribution suffisante au paiement du passif, ne saurait à
elle seule assurer le respect des exigences qui découlent du principe
de nécessité énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ;

Considérant que,
dès lors, en instituant une incapacité d’exercer une fonction publique
élective d’une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable
de plein droit à toute personne physique à l’égard de laquelle a été
prononcée la faillite personnelle, l’interdiction prévue à l’article
192 de la loi du 25 janvier 1985 ou la liquidation judiciaire, sans que
le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite
incapacité, l’article 194 de cette loi méconnaît le principe de
nécessité des peines ; que doivent être également déclarées contraires
à la Constitution, comme en étant inséparables, les dispositions de
l’article 195 de ladite loi faisant référence à l’incapacité d’exercer
une fonction publique élective ; qu’en conséquence, les dispositions du
5° du I de l’article 195 de la loi organique soumise à l’examen du
Conseil constitutionnel doivent être regardées comme contraires à la
Constitution ;”

On peut donc douter de la constitutionnalité d’un dispositif prévoyant une automaticité de la
perte de qualité d’électeur et donc de l’inéligibilité subséquente qui
n’aurait pas été prononcée explicitement par un juge et qui oblige le
préfet à en tirer les conséquences en prononçant la démission d’office
de l’élu en cause. Et ce n’est pas le rappel du Conseil d’Etat selon
lequel le juge pénal “peut, en
application de l’article 775-1 du code de procédure pénale relever
l’auteur de ces infractions des interdictions, déchéances et
incapacités électorales susmentionnées en prononçant, d’emblée ou
ultérieurement, une dispense d’inscription de la condamnation au
bulletin n° 2 du casier judiciaire” qui paraîtra lever les
doutes compte tenu du fait que de telles considérations n’avaient pas
paru au Conseil Constitutionnel suffisantes pour éviter la censure.

Il est grave qu’un dispositif
vraisemblablement non conforme à la constitution puisse subsister et
servir sans encombre de fondement à la sanction aussi sévère que celle
de l’inéligibilité pour 10 ans.

Mais la pusillanimité du législateur en
la matière, pour ne pas être accusé “d’auto amnistie”, empêchera sans
doute que la légalité constitutionnelle soit rétablie…"